J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

ETAT DES YEUX | Printemps 2020

ETATS DES YEUX | Mai 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 22 | Printemps

CETTE NOTE EST MON 108 ème AJUSTEMENT D'IMAGE (s)

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Lectrices et Lecteurs sont les bienvenue.s

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60

Il y a des choses qui occupent tellement leur place

qu'elles parviennent à se déplacer elles-mêmes

et repoussent tout alentour,

comme d'invraisemblables créatures qui débordent de leur peau

et ne peuvent se réabsorber.

 

Ainsi parfois la poésie ne me laisse pas écrire.

L'écriture reste alors écrasée

comme la pâture sous un gros animal.

Et il n'est possible de recuellir que peu de paroles

piétinées dans l'herbe.

 

Mais tout poème n'est qu'un balbutiement

sous le balbutiement sans fin des étoiles.

 

Roberto JUARROZ, Treizième poésie verticale

 

 

En Janvier je notais : Le silence est une voie d'attente que j'ai choisie sur ce thème précis : la mort des gens que j'aime.

 

Tout va trop vite désormais. C'est ma vie tout entière qui glisse vers un certain silence. L'anecdote quotidienne ne fait pas le poids face à ce qui se trame et qui engloutira tout. Mais le paradoxe surgit, étonnamment rebelle, celui de ma joie de vivre, constellée de petits miracles. La vie autour regorge de circonstances plus ou moins heureuses qui défilent comme des comètes. Au loin, le drame des guerres, si proches mentalement par tous les récits familiaux et les témoignages incessants qui pullulent dans les livres et les reportages. L'humain ne sait pas rester en paix pour attendre sa propre mort et il l'inflige aux autres de toutes les manières. Mort physique, mort sociale, mort spirituelle, toutes les morts s'additionnent et ne reste que le silence sépulcral que tout le monde fuit. Du bruit partout et en toute impunité, les décibels sont semés et récoltés comme du blé dru, leurs grains éclatent sous la pression des amplificateurs. C'est la grand moulineuse à sons inarticulés mêlés aux paroles vaines qui nous étourdit et nous égare dans le présent. Apprendre à chercher le silence demande du courage et un renoncement sans repentirs. J'ignore si j'en suis capable encore. Et pourtant, je savoure l'absence de mots et d'histoires dans une forêt qui n'est même pas comptable de son destin. Chaque arbre tait sa propre histoire, il se laisse dévorer et décimer sans commentaire. Il n'y a pas plus déchirant que le craquement sinistre d'un arbre percuté par la hache électrique qui  s'effondre de toute sa hauteur au milieu des siens. L'arbrisseau n'a pas la main sur ce qui conditionne sa croissance hormis cette propension à la survie séminale nichée au coeur de ses racines. Et que dire à l'échelle humaine, sur toutes ces populations déracinées qui  n'ont pas comme moi la possibilité de s'arrimer au passé et de pouvoir secrètement le visiter au fil de souvenirs vibrants.

 

Racines Pilat

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | Avril 2022 | Denise DESAUTELS, l'angle noir de la joie,une improbable rédemption

 

Pour mon Amie Angèle PAOLI et quelques autres

 

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Les poètes femmes accèdent au goutte à goutte aux collections prestigieuses de Poésie- Gallimard, elles se comptent sur les doigts de quelques mains, le retard est considérable. La sensibilité aux défis de la vie y gagne en simplicité, en courage ordinaire et en innovations cruciales dans l'énoncé.

Denise DESAUTELS que je viens de redécouvrir est l'une d'entre elles. Ce qui me frappe le plus consiste dans le fait que les mots de chaque poème semblent se superposer très exactement aux mots que j'ai envie d'utiliser lorsque j'écris. Quant aux thématiques et aux circonstances, c'est la même chose. Une sororité se révèle , elle est à la fois mystérieuse et évidente. "Ecrire dans un corps de femme" comme je le souligne ici, est une nécessité à une époque où l'indifférenciation cherche à se substituer au clivage de genre. A chaque génération la question se pose à nouveau, mais la condition sexuée engendre aujourd'hui avec #Me Too des effets prévalents dont se nourrissent les faits divers et les médias avides de révélations consommables. Rien ne se perd dans la contradiction.

La poésie est sans doute ce qui me rapproche le plus de l'intimité d'une conscience d'appartenance à une frange d'humanité. Je sais désormais que la poésie ne sauve pas le monde, n'assagit pas les pulsions récurrentes de prédation , elle est labile et infidèle, donne raison au dernier lu sans vérification ou le congédie sans sommation, au mieux elle soulage certaines consciences ensanglantées en légitimant le non passage à l'acte ou les endort si la force d'aimer mieux et de pardonner semble inatteignables. Tout est provisoire, tout est remis en question par chaque individu, entre isolement et instinct grégaire, mais le désir qui revient a besoin de s'incarner dans une vérité qui peine à se faire entendre. La mélancolie vient de là j'imagine... Et je sens qu'elle s'approfondit avec les années de vie et de lecture. L'ennui lui fait escorte, car il n'est pas anodin de supporter que les mêmes causes puissent avoir les mêmes effets et qu'on fasse semblant de redécouvrir que l'eau chaude reste liée au combustible auquel on la soumet. Tout nous ramène aux gestes de survie des premières créatures terrestres cérébralement mieux dotées, la force physique instaurant le distingo et la loi du plus fort, la ruse réinventant l'esquive.

 

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... écoutons Denise  DESAUTELS.

 

imaginons l'autoportrait

un rideau qu'on tire, translucide

pour atténuer - oh à peine

nos fraudes

de famille, d'état

nos petits assassinats aussi

machinalement

en croix, massés

sous une gaine où il fait chaud

 

en attendant, on fabrique du néant doux

 

un peu d'anthracite ou de blanc, s'il vous plaît

autour d'une improbable rédemption

 

*

à la fin on n'a plus peur

on les regarde de près

l'enfant endormi et

plusieurs étoiles malades accolées à la terre

 

sans bien comprendre pourquoi

absolument nécessaire

la souffrance flambe dans un fouillis de bras

 

nous avançons, manière Marina Abramović

le corps tout charbon, penché

son squelette posé sur son dos, son double

grandeur nature

fragile armature d'os

châle d'été, on dirait

 

*

 

Quand tout est froissé, que deviennent

l'ombre des phrases et leur surdité de guerre.

Où suis-je - temporairement même - dans cet

       espace chauve

Que faire après. En attendant.

 

C'est fou, la chose barbare, la bête

qui se profile ferme courant rampant

sa nuque vers quelque part, ses bras plombés

 

*

 

    L'utopie est nue. Détrônée. Plus rien ne remue

sous une brousse d'appels. Viens. Vois. Touche têtu

vacarme. L'inutile trou à nos poitrines. Un livre

entier pour espérer. Du noir doux dans les phrases. Des

gorges libres. Des pulsions pensantes. Une marée

d'oeuvres de langues qu'on ne ravale plus. Et le vio-

let de l'encre coude ou poing se lève. Dit coeur absolu

dit j'aime. De survivances diverses dit pense vibre

vertige infini.

    Bibliothèque n'est pas obus n'est pas mausolée

    Devant  derrière des frontières inaudibles. Des

nous autrui humanité irradient rebelles. Et le violet

répète pense vibre vertige infini. Et son poids de

matins aux fenêtres.

 

Nous mentons presque plus.

Nous ne nous mentons presque plus.

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Quatorzaine

 

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Extrait flou d'une Biennale d'Art Contemporain au Musée Confluences

 

la parole est un noeud dans le ventre, ce noeud rentré est

l'ombilic. La parole dit le lien et la séparation. Le ventre est le

lieu, le lien de séparation. Il n'est pas nécessaire de comprendre.

Il suffit d'accueillir les mots qui me quittent.

 

Michaël Glück , ciel déchiré après la pluie

 

 

Quatorzaine

 

Le premier mot du confinement est  consternation

Le second est information

Le troisième est explication

Le quatrième est expérimentation

Le cinquième est compassion

Le sixième est séparation

Le septième est distanciation

Le huitième est concertation

Le neuvième est émotion

Le dixième est réflexion

Le onzième est connexion

Le douzième est évolution

Le treizième est confusion

Le quatorzième est décision

 

[...]


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Sous la lampe de jour et de nuit de Colette

 

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"Je voulais que ce livre fût un journal

Mais je ne sais pas écrire un vrai journal,

c'est à dire former grain à grain, jour après

jour, un de ces chapelets auxquels la préci-

sion de l'écrivain, la considération qu'il a

de soi et de son époque, suffisent à donner

du prix, une couleur de joyau, garder l'insolite,

éliminer le banal, ce n'est pas mon affaire,

puisque ,  la plupart du temps, c'est l'ordinaire

qui me pique et me vivifie. A me promettre de

ne plus rien écrire  après...

[... ] Que mon lecteur s'y résigne : lampe de jour et

de nuit, bleue entre deux rideaux rouges,

étroitement collée contre la fenêtre comme

un des papillons qui s'y endorment le matin,

en été, mon fanal n'éclaire pas d'événements

de taille à l'étonner. ".

 

Colette, Le fanal bleu

 

Dimanche de Pâques .  

J'écoute une émission sur Colette ce matin...

"J'ai bonne envie de dire"... comme  cette ancêtre de littérature, que je n'ai pas vraiment lue jusqu'ici,  ce que j'ai en tête aujourd'hui,  "collée" à la baie vitrée et à l'écran d'ordinateur...

Cela n'a pas grand chose à voir avec elle. Mais sa légende m'intéresse... son "bonnet d'astragan" en guise de chevelure... Sa liberté de comportement, son goût pour les marginaux et la rusticité dans ses relations. Ses défiances contre les "suffragettes" et ses encouragements pour un féminisme au quotidien... Dans la vie comme au cinéma , "il n'y a qu'une bête" et "les secrets des simples"...

Je pense à toutes les fêtes de Pâques traversées depuis ma naissance, la plupart amnésiques. La tradition des poules dodues et des poissons plats en chocolat, des mini-oeufs en sucre parfaitement écoeurants, dont nous nous gavions pourtant pour sentir la liqueur sous la dent, exorbitant luxe familial  annuel associé à la messe et aux cloches tambourinantes. Il y a belle lurette que je ne vais plus à la messe, je suis une mécréante assumée qui songe avec tendresse et ironie à tous ces mensonges de l'éducation parentale, eux-mêmes piégés par leur formatage social et culturel. Le rituels chrétiens ont disparu de ma vie, sauf pour les inhumations où je ne peux que respecter les choix des morts et de leurs représentants mais je me refuse à réciter les prières imprimées dans mon cerveau, à chanter des chants laudateurs et culpabilisants. La liturgie me semble à chaque fois artificielle, outrancière,  complètement détachée de l'affectivité des survivants. "Ne pleurez pas ! " Bien, sûr que si !  " Laissez - le ou la entrer dans le Royaume de Dieu " !  Encore faut-il qu'il existe !  Ici-bas , il s'appelle inquisition, terrorisme, scandale pédophile, carcan comportemental, patriarcat rétrograde... Dieu n' y est pour rien 'y 'existe pas... Si ?  et s'il existait, il faudrait lui demander des comptes, non ? La religion n'a été inventée que pour capter des richesses et réguler l'expansion des graffitis sur les murs des lamentations. L'humain est démuni, impuissant, fragile et il réclame depuis la naissance une protection supérieure, un modèle d'identification et des repères pour tracer son destin... Le sentiment d'appartenance à une croyance collective le rassure et l'enferme dans des doctrines qui le dépassent et le contraignent. L'aspect commercial des festivités religieuses est un prosélytisme déguisé difficilement évitable. Avec la mondialisation et le mélange des cultures il devient une Babel Babylonienne où nous picorons des distractions conviviales. Aujourd'hui nous ne ferons pas la chasse aux oeufs avec l'enfant dans un jardin... Nous ne lui parlerons ni de  Jésus, ni de la résurrection, ou alors s'il s'y intéresse, comme un conte de fée un peu glauque ... La semaine sainte est confinée  et elle évite des contaminations. C'est un bien commun que de suspendre ces rassemblements  dans les circonstances actuelles. Cela me fait réfléchir sur le statut de la spiritualité et de ses effets grégaires dans nos existences. Nous ne renoncerons pourtant pas aux petits oeufs qu'on cache, nous en répartirons dans l'appartement, mardi prochain, avec un plan d'île aux trésors... 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Cadeau de Pâques

 

 

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Chantal ROUX  1949- 2016 (c)

 

Impuissante à se libérer

Pour que fleurisse sa tige, 

Ailleurs le laurier monte 

Jusqu'au prestige

 

Armen LUBEN, Sainte Patience, Jour après jour

 

 

Odyle est une Amie de longue date, que j'ai connue lorsque j'étais élève infirmière dans un grand Hôpital Psychiatrique départemental. J'ai repris son poste lors de son départ de la ville et j'ai gardé le contact avec elle, ce que je ne faisais pas facilement à l'époque. On rencontre tant de gens lorsqu'on travaille dans un établissement de santé qu'on en a le tournis, mais les amitiés qui s'y forgent ont un caractère inaltérable. Ces compagnonnages aident à supporter les difficultés du métier, le rendent plus humain, plus solidaire. Cette Amie avait supporté la jalousie des autres soignant.e.s car, lorsque je l'ai connue, elle travaillait à la journée et avait tous ses week-ends. La règle étant alors de travailler en 2 fois 8 heures en alternance , commençant tôt le matin ou finissant tard le soir, avec des repos variables selon un cycle préétabli et une relève d'une demi-heure entre les équipes, y compris avec celle de nuit . Au bout du cycle, il y avait trois jours de repos consécutifs et la possibilité d'y accoler des jours de congés en les optimisant le mieux possible. Certains agents étaient passés maîtres en prévisions de planification et cherchaient à obtenir les roulements les plus avantageux dans l'équipe. Des tensions naissaient de cette course aux meilleures places pour diminuer le plus possible le temps de présence en service dans la folie ambiante. A cette époque le nombre des patient.e.s confiné.e.s  allait jusqu'à 50 dans des conditions architecturales héritées d'Esquirol , où la promiscuité était génératrice d'inconfort majeur et d'angoisses exacerbées par les pathologies de départ. L'immersion quotidienne dans ces lieux d'enfermement tenait de l'entrée dans la fosse aux serpents ou aux lions, et l'humanisation était une obsession pour les jeunes soignant.e.s livré.e.s à eux-mêmes les trois-quart de leur temps, ou supervisés par des directives médicales plus ou moins convaincantes et intermittentes.Les services les plus difficiles étaient souvent désertés par le corps  médical, et redoutés par les personnels subalternes... C'est pourtant là que se trouvaient les clés de compréhension de la nature humaine et de ses besoins fondamentaux. C'est là que le métier rentrait le mieux en même temps que l'humilité et le courage. Mon Amie le savait et c'est pour cela qu'elle  avait accepté la mission d'organiser des activités pour des malades extrêmement démunis et perturbés psychiquement, certains sans langage verbal articulé. Une gageure, un défi fou... une utopie sans doute, mais elle y croyait et le prouvait chaque jour en organisant  pour les plus régressé.e.s, ce que j'appelais avec un humour un peu douteux, son "école maternelle à perpétuité", et pour les autres, des activités ergothérapiques  "occupationnelles"... Son enthousiasme, sa créativité et sa douceur tranchaient avec les attitudes très défaitistes des autres membres de l'équipe, mais elle savait attirer certains d'entre eux pour rallier sa cause humanitaire de proximité. Elle est sans doute l'une des rares professionnelles qui m'ont donné envie de continuer ce métier en allant vers une amélioration des conditions de considération  des malades et des personnels.

Aujourd'hui, cette Amie souffre d'une maladie de Parkinson ... Elle  fait encore du théâtre et s'investit dans une Association liée à ses préoccupations actuelles,  malgré le fait qu' elle se retrouve murée dans ses mouvements, de l'autre côté de la barrière des soins... Parfaitement lucide, elle endure tout avec douleur et désespoir.  Elle s'est blessée récemment,à la colonne vertébrale, en tombant. Elle a été hospitalisée en plein confinement... Double peine , pour elle aussi... Je ne sais pas comment la soutenir, car toute conversation au téléphone est impossible, sa voix a disparu ou ne peut être audible...  Seule l'écriture qui lui demande un effort surhumain est encore praticable. Elle m'envoie un poème qui me bouleverse. Je le retranscris ici :

 
Semaine sainte sans office...
 
Lundi
Traverser le pont
Chercher
Regarder en arrière
Retraverser le pont
Faire une lessive
Plonger dans l'incertitude
 
Mardi
Tes yeux n'ont rien dit
Il faut traverser le pont
Quelle est la couleur de l'eau ?
Ou se niche la vérité 
Retraverser le pont
 
Mercredi
La douleur est insupportable
Il faut traverser le pont
Les masques se fondent 
En larmes
Il faut retraverser le pont
 
Jeudi
Accrocher le cadenas des amours
Cirer ses chaussures
Dire merci
A qui à quoi?
La vérité qui me la dira?
 
Vendredi
Jour de marché
Traverser le pont
Chagrin
Clandestin
Elle a osé
Elle n'aurait pas du
Faut _ il traverser le pont?
 
Samedi
Acheter des fleurs
Du vin 
Traverser le pont
Ecrire en bleu
La vérité
Se laver les dents
 
Dimanche....
 
Je saute 
 
 
 
Odyle Collin

ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Flotter, je ne vois pas d'autre choix ce matin...

    

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Je cherche en moi ce qui permet de ne pas laisser libre cours à l'inquiétude contagieuse. Je ne crois pas qu'il s'agisse de barrières ou de filtres pour barrer la route à la conscience. Certainement pas... Je me rapproche de l'idée d'un risque de mort possible dont j'ignore la cible et les délais de surgissement. Je ne veux pourtant pas mourir tout de suite ni laisser mourir les autres et je me demande bêtement comment il faut s'y prendre, en dehors du fait de ne pas sortir de chez soi, laissant mon compagnon prendre le risque pour lui-même de rencontrer l'indésirable agent d'épouvante qui se propage dans le Monde sans permis de passe-frontières. Je devrais applaudir mon compagnon plus souvent ! Il s'occupe aussi des trajets de l'enfant aller-retour pour les jours de garde car pour aider ses parents,  nous veillons ensemble à sa progression scolaire en lien avec les directives numériques de l'instituteur. Nous devons garder notre sang-froid devant la perspective d'un prolongement du confinement et l'attente de solutions sanitaires efficaces et accessibles. Nous sommes pourtant des privilégiés. Retraités donc disponibles avec de l'argent suffisamment pour varier les repas et assumer nos besoins matériels.

    Nous avons travaillé quatre décennies complètes ( la grande moitié de notre vie...) pour obtenir ce niveau de confort et prenons la mesure des efforts consentis à cet effet pour élever trois enfants en travaillant. Ces derniers parviennent tout juste à vivre décemment de leurs salaires, malgré des études et un environnement aidant, ils ne feront jamais partie des classes dominantes et je n'en suis pas du tout contrariée. La solidarité est de mise car nous ne savons pas comment les choses vont tourner pour tout le monde.

    Nous pensons aussi à la famille élargie, aux ami.e.s, à ceux dont l'âge les installe dans les populations à protéger en priorité. Je pense à ma vieille Dame tant aimée qui se laisse couler au fond de son lit d'E.H.P.A.D faute d'alternative... Je pense également à tous ceux qui sont dans la misère, dans la rue, exposés comme à un pilori qui n'est pas du tout symbolique mais bien réel. Les sacrifiés du système aux abords des caniveaux...

    Je pense aux migrants que nous avons soutenus tout un hiver : Vladica, Gordana et leurs petits Mélissa et Michaelo,  Margan et Klaudia, leurs enfants Léontina et Alexander lesquels se sont volatilisés dans la Nature plutôt que d'être reconduits manu militari dans leurs pays d'origine. Des centaines comme eux balladés entre des états rejetants... Je pense au  malin loup noir non menaçant  que je leur avais dessiné sur un carnet pour apprendre à parler avec eux...les faire sourire... apprivoiser leur coeur en bonne humanité... Dans ma vie, je n'ai jamais été reçue avec autant de générosité que parmi eux. Ils n'avaient rien, ils étaient confinés eux aussi dans des Foyers déclassés et insalubres, ne pas être à la rue était pour eux le summum du répit.  Ils vivaient au jour le jour en essayant de comprendre les circuits de l'aide et en remerciant sans cesse du moindre geste de secours... Comment avouer que je pense plus à eux en ce moment qu'à mes proches dont je sais qu'ils ont ce qui faut pour ne pas paniquer ou le moins possible.

    J'essaie de me rappeler ce que nos parents disaient de leur vie pendant la guerre, comment ils la percevaient, de quoi ils avaient peur au quotidien. Curieusement, leurs souvenirs étaient flous ou caricaturaux, les chaussures trop petites, les topinambours et les rutabagas, le couvre-feu, les boches à tous les coins de rue, le bruit des bottes, les convois militaires, les ravitailllements à la campagne en vélo... l'attente interminable...

    Quand nous sommes nés dans les années 50 et en grandissant, ils n'en parlaient qu'en nous voyant tordre le nez sur une assiette d'épinards ou de chou-fleur... Gaspiller était un péché non véniel.

Aujourd'hui et ici,  l'ennemi  est un insidieux , un invisible qui peut pénétrer à tout instant dans nos maisons , il ne sera jamais le bienvenu, et son danger potentiel est permanent.

     Je ne devrais pas m'épancher ainsi... Ecrire ce que tout le monde sait , sent et redoute est presque indécent. Mais garder la trace subjective d'un état d'esprit à un moment donné peut être un sujet de réflexion. Comment tient-on le cap  face aux tempêtes virales, morales et pulmonaires de ce siècle ? Je n'en sais rien...

J'accorde mon souffle à celui des autres pour faire dévier la proue...la voile est trouée de part en part, et la coque rouillée grince dans toutes ses jointures, elle veut pourtant rejoindre une crique de sérénité qu'elle ne distingue pas encore à l'horizon... Flotter...Rêver...je ne vois pas d'autre choix encore ce matin...


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Confinement

 

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Germaine Richier

 

Samedi 4  Avril  2020

 

BILLET (DE BONNE) HUMEUR
(Faut pas croire)


... Et je vous épargnerai la série avec ses RV du Soir Bonsoir Espoir... Ne me remerciez pas !

Tout le monde nourrit les pensées de tout le monde en ce moment, mais l'appétit s'épuise et s'inverse. On veut fermer la bouche, mais ça rentre par les oreilles, de gré ou de force. Je me demande où l'on pourrait trouver un refuge où pouvoir jeûner un peu, laisser s'essorer le corps de tous les allègres postillons virtuels. La littérature est partout dans la moindre pore , pastille effervescente sur la langue, elle fait crisper les yeux. On nous dessine le virus, on le microscopiste, on le fait migrer en 4 D, et en clips, il est omniprésent, stroboscopique, comme un excès de poivre dans les aliments.

Au début, on reste un peu polis. On dit - Non Merci ! J'ai ma dose aujourd'hui ... Mais on insiste, on nous veut du bien à distance, sans fournir la notice d'utilisation et les recommandations sur les effets secondaires. Peuple enfermé d'oies civilisées mais chacune a sa cage , son champ de manoeuvre utilitarisé, enfin presque... dehors les hélicos surveillent... Apocalypse now sans les haut-parleurs ...

Mais moi je préfère regarder les moineaux en pensant au balcon grillagé de Jeremy Liron qui peint sur des boîtes de cracottes ou d'autre chose ( on ne voit plus la marque...).

Envie furieuse de visions intérieures à paysages sans limites entre l'eau et le ciel, la langue de terre et l'horizon. Alors je me recouche un moment et je rêve... Mais le confinement imprime des scénarios de cabanes et d'exodes, de maisons percutées de plein fouet par l'insécurité ambiante. Je les chasse elles aussi au réveil et je regarde autour de moi. Je suis seule un moment et je me nourris moi-même comme les moineaux du balcon, graine après graine, lentement, en guettant les prédateurs.

Je n'ai plus envie de dormir, un rayon de soleil prêche pour la tendresse. Je la cueille en silence dans mon coeur qui bat tout sauf la chamade. Je me sens vide et loin de tout. Et j'écoute ( un peu) Wagner en sourdine...

 

Avec Georges SEFERIS

La maison près de la mer [ Extrait]

[....]
Je ne sais pas grand chose des maisons :
Je sais qu'elles ont leur caractère voilà tout.
Neuves au début, comme les petits enfants
Qui jouent dans les jardins avec les franges du soleil,
Elles brodent des persiennes de couleur et des portes
Etincelantes sur le jour.
Quand l'architecte a fini, elles s'altèrent,
Elles se rident, ou sourient, ou encore s'irritent
De ceux qui sont restés, de ceux qui sont partis
Et de ceux qui reviendraient s'ils le pouvaient,
Ou qui ont disparu, maintenant que le monde
Est devenu une immense hôtellerie.

Je ne sais pas grand chose des maisons
Je me rappelle leur joie et leur tristesse
Parfois quand je m'arrête;

aussi

Parfois près de la mer, dans des chambres nues,
Sur un lit de fer, sans rien qui m'appartienne,
En regardant l'araignée du soir, je me dis
Que quelqu'un s'apprête à venir, qu'on le pare
D'habits blancs et noirs, de bijoux de toutes les couleurs,
Et qu'autour de lui à voix basse
Parlent des femmes de grande dignité,
Cheveux gris et sombres dentelles -
Qu'il s'apprête à venir me dire adieu, [...]

Tu sais les maisons s'irritent facilement
Quand on les dépouille

Livre de bibliothèque offert par un ami écrivain. 1963